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Articles par pays :
France
Journal par No :
No 75, octobre 2004
Auteurs :
Fabienne Gautier Raymond Beffa
No 75, octobre 2004
Publié le mardi 2 octobre 2007

F. Gautier :

R. Beffa :


Du plutonium pour la paix ?

La Cogema, filiale d’Areva, vient de prendre livraison de 140 kg de plutonium de qualité militaire issu du démantèlement partiel de l’armement atomique des Etats-Unis. Nom de l’opération « Mox for Peace ». De nombreuses questions se posent autour de ce projet fortement médiatisé, parmi celles-ci, l’inquiétante perspective de la mise en place d’un gigantesque marché mondial de combustible nucléaire destiné à la production d’électricité dans le futur.

Les faits

Le 20 septembre dernier, deux véritables « forteresses flottantes », spécialement conçues pour le transport de matières radioactives, ont quitté le port de Charleston (USA) en direction du port militaire de Cherbourg (F). Des deux navires battant pavillon britannique, il n’y en a en réalité qu’un qui contient les 140 kg de plutonium de l’arsenal militaire américain, l’autre servant à la fois de leurre et d’escorte. Les conditions de sécurité mises en place par les autorités américaines, britanniques et françaises sont impressionnantes, chaque bateau est équipé d’un armement important, avec des forces spéciales à bord. Après son arrivée à Cherbourg, le 6 octobre au matin, le conteneur contenant la poudre d’oxyde de plutonium a été acheminé en camion à l’usine de La Hague toute proche, afin d’y être conditionné pour le transport jusqu’au complexe nucléaire de Cadarache, près d’Aix en Provence. C’est à Cadarache que le plutonium sera mélangée à de l’uranium et conditionnée sous forme de pastilles et de crayons de Mox, lesquels seront ensuite transférés jusqu’à l’usine Melox qu’Areva exploite à Marcoule (Gard) pour fabriquer quatre « assemblages combustibles » analogues à ceux que certaines centrales nucléaires françaises brûlent aujourd’hui dans leurs cœurs. Ce n’est qu’au début de 2005 que ces assemblages repartiront pour les Etats-Unis.

Un transport à hauts risques

De Cherbourg (Manche) à Cadarache (Bouches du Rhône), ce sont plus de 1000 km qui ont déjà été parcourus sur les autoroutes françaises, au milieu de la circulation ordinaire, à la merci d’un accident ou d’un acte terroriste. Face à l’exceptionnel dispositif de sécurité mis en place autour de ce convoi, on est en droit de se demander pourquoi le plutonium commercial régulièrement transporté par la Cogema à travers la France, au rythme de deux à trois convois chaque semaine, ne bénéficie pas de la même protection. En France, ce sont en effet plus de 10 tonnes de plutonium qui circulent chaque année depuis l’usine de retraitement de la Hague en Normandie vers l’usine de fabrication de combustible nucléaire MOX de Marcoule, dans le Gard. Ces transports hebdomadaires de plutonium s’effectuent dans des véhicules non blindés sous une protection policière dérisoire.

Déchet ou richesse ?

D’où provient ce plutonium ? Après la signature, en 1993, du traité Start II, prévoyant la mise au rancart de près de 8000 ogives thermonucléaires, Russie et Etats-Unis ont décidé d’utiliser l’uranium enrichi provenant de ces munitions devenues inutiles comme combustible pour leurs centrales électronucléaires, sous le contrôle de l’AIEA. Restait le plutonium. En septembre 2000, les deux pays s’entendent finalement pour procéder à l’ « élimination » de 34 tonnes de plutonium militaire chacun, mais qu’en faire ? A l’époque, la doctrine américaine condamnait le recyclage du plutonium pour cause de risque de prolifération des armes nucléaires. Par contre, la Russie a toujours été partisane de la reconversion de ses matières fissiles militaires en combustible civil. Elle a besoin d’électricité et « un gramme de plutonium égale une ou deux tonnes de pétrole » dixit la Cogema. Tandis que la Russie opte pour la transformation du plutonium en MOX, les Etats-Unis hésitent encore entre deux « solutions » : enfouir le plutonium sous terre, après « immobilisation » dans une matrice de verre, de céramique ou même après mélange avec des déchets très radioactifs ou... le « recycler » en Mox

Revirement américain

Finalement, c’est la seconde alternative qui l’emporte en 1997. Il s’agit tout bonnement de l’abandon de deux décennies de politique américaine opposée au commerce de plutonium. Un lobbying fort d’Areva et de l’anglais BNFL, ainsi que de l’industrie nucléaire japonaise au cours des années 90, a permis d’écarter les autres options de gestion du plutonium. Au moment où les perspectives de pénurie d’énergie sont à l’ordre du jour, c’est ce projet de rentabiliser le plutonium militaire qui l’a emporté sur les autres.

Pourquoi la France ?

On peut s’étonner que les Américains n’aient pas fabriqué leur propre Mox, mais, ni eux, ni les Russes ne maîtrisent cette technologie dont les Français se sont fait les spécialistes. L’opération « Mox for Peace », avec tous les dangers qu’elle comporte, n’est donc ni plus ni moins qu’un test pour Areva. S’il fonctionne, une usine de fabrication de Mox sera construite à Savannah River (Caroline du Sud) avec la technologie française. Budget global : 2 milliards de dollars, dont 300 millions pour Areva. Les deux grands devant se débarrasser de leurs stocks de plutonium à peu près au même rythme, la même opération devrait se répéter pour la Russie, où une autre usine de retraitement sera construite. Mais, faute de financement national, c’est les Etats du G8 qui vont aider la Russie qui risque bien, de ce fait, de devenir le lieu d’entreposage et de retraitement des combustibles nucléaires usés de la planète.

Stratégie à long terme

Alors que la Chine, le Japon, la Finlande, la Corée du Sud ou le Brésil construisent de nouvelles centrales et que l’on sait qu’un essor massif de l’électronucléaire n’est actuellement pas durable avec les réacteurs classiques, faute d’uranium, le choix du retraitement semble indiquer que l’option de construction de réacteurs futurs sera celle de réacteurs à neutrons rapides fonctionnant au Mox. Ainsi, grâce à ce financement de la communauté internationale, par le biais du G8, Areva bénéficierait d’un tremplin pour les projets d’avenir de l’industrie nucléaire mondiale : c’est-à-dire les réacteurs de génération IV et les installations de retraitement qui sont indispensables à leur fonctionnement.

Mensonges

En cherchant à attirer l’attention des médias et de la population sur cette opération, les résistants écologistes principalement français, mais aussi américains, veulent démontrer le double langage des industriels et des autorités. Pourtant, certains pronucléaires n’hésitent pas à taxer la dénonciation de cette opération par les organisations écologistes de contradictoire : en transformant du plutonium destiné à fabriquer des bombes en combustible pour les centrales nucléaires, n’est-ce pas pour la paix et la non prolifération que l’industrie nucléaire française agit ? Les mensonges propagés par les bénéficiaires de ce programme ne doivent pas nous endormir. Le prétendu combat pour la non prolifération n’est qu’un prétexte grossier : le nucléaire civil est par essence lié au nucléaire militaire puisque ce sont les réacteurs nucléaires qui ont fourni et fournissent, partout et toujours, le plutonium destiné aux bombes. Sans centrales « civiles », il n’y aurait pas de bombe atomiques (V. encadré). De même l’uranium appauvri - le même qui empoisonne l’Irak, l’Afghanistan et les Balkans - est un sous-produit de l’industrie nucléaire « civile ». La France, le Royaume-Uni, la Russie et les Etats-Unis sont les quatre pays producteurs d’armes à uranium appauvri aujourd’hui vendues à plus de 15 pays dans le monde.

Pas d’état d’âme

La transformation du plutonium militaire en Mox n’a rien d’un projet pacifiste, il s’agit bien entendu d’un pur et juteux marché industriel. Comment en serait-il autrement ? Areva fait tout simplement son beurre en utilisant les accords de désarmement signés par la Russie et les Etats-Unis et en profite pour mettre en application une stratégie énergétique extrêmement ambitieuse, avec l’appui des gouvernements du G8. Pour être tout à fait honnête, précisons que si la démarche d’Areva n’a rien de pacifiste, elle n’est pas non plus par essence une démarche belliqueuse. Elle est sans état d’âme, c’est une démarche commerciale qui ne s’embarrasse pas de ce genre de dilemme. Tout comme le plutonium, l’argent n’a pas d’odeur. Tout profit est bon à prendre et, pour Areva, les profits sont toujours de l’ordre de la démesure, comme l’industrie que cette société représente.

Et la démocratie ?

Par contre, on est en droit de s’interroger sur le rôle joué par les autorités françaises qui, non seulement protègent et assurent en cas d’accident cette opération commerciale, mais tentent par surcroît de museler les manifestations citoyennes qui l’entourent. Toute l’opération, qui est placée sous la tutelle du haut fonctionnaire de la défense, au ministère de l’Economie, est en effet classée « secret défense ». L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui est chargée de surveiller l’ensemble des installations nucléaires civiles en France, a donné son feu vert à l’expérience d’Areva et autorisé la réouverture temporaire de l’Atelier de technologie du plutonium de Cadarache, pour le traitement du plutonium américain. L’ASN a expliqué qu’« il s’agit d’une opération ponctuelle portant sur une faible quantité de matière ». Les écologistes considèrent que la décision de fermeture de l’Atelier aurait dû suffire à empêcher cette opération. En effet, après huit longues années de demandes infructueuses, l’ASN (qui n’a donc d’autorité que dans le nom) a obtenu la fermeture « définitive » de l’Atelier de plutonium de Cadarache en été 2003, en raison d’une protection insuffisante contre les risques de tremblement de terre.

Alors que le courrier, adressé par le Réseau « Sortir du nucléaire » au Premier Ministre le 10 mars 2004, lui demandant « de bien vouloir prendre le décret de mise à l’arrêt définitif de l’Atelier de plutonium de Cadarache afin que l’exploitant se conforme aux règles de sécurité élémentaire édictées par l’Autorité de sûreté », est resté sans réponse et que la procédure de recours en référé devant le Conseil d’Etat pour tenter de faire interdire l’utilisation, par la société Areva, de l’Atelier de plutonium de Cadarache, menée par le Réseau le 30 septembre est, elle aussi, restée sans suite, le jeudi 7 octobre à 8h30, au moment où le plutonium traverse la France, un huissier de justice remet, au siège national du Réseau « Sortir du nucléaire » à Lyon, une assignation de 700 pages de la COGEMA et du CEA pour comparaître ce même jour à 14h au Tribunal de Grande Instance d’Aix en Provence. Comment un avocat pourrait-il défendre le Réseau dans un délai aussi court (en 5 h1/2 !) et prendre connaissance des 700 pages de l’assignation ? Dans cette assignation, le CEA et la COGEMA demandent au Tribunal d’interdire de s’approcher de moins de 500 mètres sur l’ensemble du périmètre de la clôture du Centre de Cadarache, de gêner ou d’entraver de quelque manière que ce soit, les opérations d’acheminement et de déchargement jusqu’à leur lieu de traitement du plutonium américain, sous peine d’une astreinte provisoire de 75 000 euros par infraction constatée.

Face au profond mépris avec lequel les entreprises de l’industrie nucléaire traitent la population, qui est en droit d’avoir toutes les explications concernant des activités commerciales qui mettent en danger des dizaines de milliers de citoyens, le Réseau « Sortir du nucléaire » a demandé au Ministère de l’intérieur de communiquer aux citoyens combien auront coûté les mesures de sécurité impressionnantes (armée, police...) déployées pour ce plutonium américain dans les seuls intérêts commerciaux de la multinationale Areva. Que faire face à cette fuite en avant de plus en plus dangereuse de l’industrie nucléaire, prête à satisfaire tous les besoins en énergie, présents et futurs, de la planète ? Le mouvement de protestation, pour avoir quelque chance de porter des fruits, devrait être à l’échelle de ces enjeux économiques titanesques. Seule une mobilisation et une prise de conscience sérieuses, relayées par les instances politiques et les médias, pourraient faire pencher la balance.

Fabienne Gautier

Le Plutonium

Né par et pour les militaires, cette matière artificielle extrêmement dangereuse est très radio toxique. Un microgramme de plutonium est suffisant pour déclencher un cancer chez un homme (par inhalation par exemple). Le plutonium est créé par la réaction nucléaire en chaîne dans les réacteurs nucléaires. En effet, une partie de l’uranium naturel enrichi qui est employé comme combustible (environ 1% dans la configuration actuelle) se transforme en plutonium. Il est ensuite extrait de ces combustibles irradiés à l’usine Cogema/Areva de La Hague. La quantité de plutonium nécessaire et suffisante pour faire une bombe nucléaire de la puissance de celle de Nagasaki avec du plutonium tel qu’il est fabriqué à La Hague est d’environ 8 kilos. L’usine de La Hague en fabrique plus de dix tonnes par an.


Les victimes des essais nucléaires français en procès

Un grand classique de l’ère industrielle et de nos institutions démocratiques est actuellement mis en scène par le Parquet de Paris.

Après l’amiante, la chimie, le pétrole etc., cette fois-ci c’est le nucléaire qui sert de toile de fond à cette tragédie se déroulant immuablement comme suit :

Acte I

Quelqu’un fait une découverte scientifique plus ou moins géniale selon les goûts.

Acte II

Sans les précautions élémentaires préconisées déjà par quelques personnes éclairées, « on » décide la mise en pratique immédiate du « progrès ».

Acte III

Quelques décennies plus tard, la Justice (donc l’Etat, donc nous tous) reconnaît la faute commise et indemnise les victimes sans bien sûr punir les coupables.

Acte IV

On change le décor et l’on reprend à l’acte I.

Tout le monde (quand je dis tout le monde…) a vu la photo de ces militaires français sagement assis sur des chaises pliantes dans le désert algérien, de grosses lunettes noires sur le nez et un tablier de plomb sur les genoux regardant la mise à feu d’une bombe nucléaire.

Personnellement, je me souviens d’un reportage moins célèbre où l’on voit le « grand » Charles de Gaulle nous faire une crisette. Rendez-vous compte, à cause d’une météo défavorable Monsieur n’a pas encore reçu sa sucette (en l’occurrence, l’explosion de la première bombe à hydrogène française). L’essai eu lieu en sachant par avance que le nuage radioactif qui allait se former, passerait sur un atoll peuplé, il est vrai « que » par des Polynésiens, c’est dire…

Enfin voilà, pour ne pas être trop long : 11 victimes des essais, rejoints par 2 familles de victimes décédées, et des associations de vétérans et d’habitants de Polynésie, ont déposé une plainte. Une information judiciaire a été ouverte le 20 septembre par le Tribunal de grande instance de Paris. L’enjeu est colossal : le nombre de personnes ayant assisté, de gré ou d’autre manière que ce soit, aux quelques 210 essais nucléaires français s’élève à environ 150’000. Une étude médicale réalisée par les associations de vétérans montre une augmentation de 90% des cancers chez les anciens militaires, pour atteindre 1 personne sur 3 (dans la population, pour la même tranche d’âge, ce taux est de 1 sur 5).

Nous ne pouvons que souhaiter plein succès à ces victimes, en étant bien conscient que le procès en cours ne leur enlèvera pas un iota de souffrances. Ainsi va le monde…

Raymond Beffa

Association des vétérans : www.aven.org

Observatoire des armes nucléaires : www.obserm.org

 
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