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Tchernobyl
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Russie - Europe de l’Est
Journal par No :
No 54, septembre 2000
No 54, septembre 2000
Publié le dimanche 30 septembre 2007

Apprendre à entendre l’horreur de Tchernobyl :

« La supplication » de Svetlana Alexievitch

Sur Tchernobyl, j’ai lu, depuis bientôt quinze ans, des centaines - des milliers - de pages de rapports, d’articles, de livres, scientifiques ou journalistiques, pro ou antinucléaires, « occidentaux » ou traduits du russe ou de l’ukrainien. C’est mon métier1.

Mais rien ne m’a jamais physiquement autant touché que La Supplication2. Aucune lecture sur ce thème ne m’a été plus pénible. La Supplication est un livre qui se lit avec le ventre.

Cette supplication n’est pas une prière comme les autres ; elle n’est pas un mouvement de l’âme tendant à la communication spirituelle ou religieuse, et pourtant, incontestablement, ce texte - ces témoignages - nous supplient, nous implorent de rester reliés au monde, à la vie, à l’humanité. Demande expresse nous est faite pour qu’on entende ces témoignages, qu’on les reçoive simplement pour ce qu’ils sont : une trace de la douleur passée et présente et le stigmate d’une angoisse portée sur l’avenir, sur notre avenir à tous.

« Je viens vous supplier de recevoir chez vous, d’écouter, d’entendre, de comprendre cette souffrance pour ce qu’elle est subjectivement et pour ce qu’elle a d’universel ! ». Voilà ce que nous transmet pudiquement la journaliste Svetlana Alexievitch, au fil d’une écriture sobre, qui s’efface derrière la parole du témoin. Dire la vérité - c’est-à-dire l’horreur - avec pudeur, mais sans la distance aseptisée de l’analyse, avec une détermination non ostentatoire, pour qu’à aucun moment on ne puisse succomber à la fascination pornographique du voyeurisme : c’est un pari difficile qui place constamment le lecteur sur la limite de l’insupportable, de la nausée, parce que ce qui est dit est toujours également à la limite de l’indicible, de l’incommunicable.

Svetlana Alexievitch reste une dissidente au sens fort du terme, dans une société-monde censée s’être désormais débarrassée définitivement du totalitarisme. Au risque de sa liberté et de sa sécurité, (elle a été jugée à Minsk en 1992 pour l’atteinte portée à la mémoire des soldats soviétiques, après son livre Le cercueil de zinc sur la guerre en Afghanistan) et au prix de sa santé (elle souffre d’un cancer après son enquête de terrain à Tchernobyl), elle se lève seule pour proposer une vérité sur Tchernobyl. Non pas pour assener la Vérité définitive, objective, scientifique, mais pour récolter des centaines de vérités subjectives, intimes, solitaires, qui en se recoupant donnent la trame d’une expérience collective inédite, littéralement inimaginable.

Dans cet ouvrage polyphonique, relevant tout à la fois de la tragédie, du fantastique, du récit biographique et du document, il n’y a, à aucun moment, une intention morale qui consisterait à juger, à distribuer les responsabilités, à condamner ; il y a pas plus d’intention scientifique qui viserait à analyser, à expliquer et à comprendre. Non ! Ce que nous propose Svetlana Alexievitch est d’un autre ordre, primordial et préliminaire : c’est un travail de documentation épuré, répétitif – effrayant par sa répétition même – qui nous oblige, avant toute chose, à effectuer collectivement un travail de mémoire sur les conséquences humaines et sociales de la catastrophe de Tchernobyl.

C’est pourquoi il est éthiquement nécessaire de promouvoir le travail Svetlana Alexievitch et de susciter d’autres recueils de paroles de victimes d’hier, d’aujourd’hui, de demain. Il est nécessaire de rassembler des milliers de témoignages de victimes, parce que non seulement la victime possède une place singulière pour témoigner de l’expérience de l’horreur, mais surtout parce que son témoignage isolé suscite immanquablement l’incrédulité et la renvoie définitivement à sa solitude.

La chronique tragique de Tchernobyl commence à peine. A nous de lui donner la continuité nécessaire pour que le travail de mémoire - thérapeutique pour les victimes et indispensable pour les historiens - se prolonge par un travail de deuil des promesses d’un progrès technologique illimité, fruit d’un système social qui a rendu cette horreur possible.

Ce qui frappe dans la lecture de La Supplication, c’est l’analogie avec l’Holocauste : nous assistons au-jourd’hui, comme en 1945 au moment des premiers témoignages sur l’horreur des camps, à la première prise de parole des survivants. Répétons-le, cette parole est une supplication qui nous est personnellement adressée, nous pouvons décider de ne pas l’entendre, nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas.

Jean Rossiaud

1 Jean Rossiaud, sociologue au Centre d’Ecologie humaine de l’Université de Genève et co-directeur de la recherche « Management des risques majeurs », anime notamment depuis 1994 le Groupe de travail interdisciplinaire « Sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl ». Pour toute information supplémentaire à ce sujet : jean.rossiaud@ses.unige.ch ou Sébastien Bertrand bertrand@sc2a.unige.ch).

2 La supplication est parue récemment en livre de poche aux éditions J’ai lu.

Tchernobyl et les négationnistes de l’ASPEA

Dans son Flash-nucléaire du 20.6.00 l’Association suisse pour l’énergie atomique se réjouit du fait ...qu’à part les 30 morts de la première équipe d’intervention (et les 1800 cas de cancer de la thyroïde parmi les enfants exposés) : « il n’existe à l’heure actuelle aucune preuve scientifique selon laquelle l’accident aurait entraîné d’autres effets sanitaires significatifs dus au rayonnement ». Une impression de déjà-vu ?

 
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