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Articles par pays :
Etats-Unis
Journal par No :
No 82, mai 2006
Auteurs :
Guy Demenge
No 82, mai 2006
Publié le vendredi 28 septembre 2007

Le père du Nautilus condamne l’atome

Les antinucléaires sont-ils des caractériels, débiles, attardés ou incompétents comme semblent souvent vouloir le penser certains défenseurs de l’atome ? Les déclarations de 1982 de l’amiral Rickover devant le Congrès américain médusé démentent cette croyance par ailleurs totalement infondée.

Le 28 janvier 1982, devant le très influent Joint Economic Committee du Congrès des Etats-Unis, l’amiral Hyman Rickover déclarait : « Peu à peu la somme des radiations sur cette planète s’est réduite, rendant possible l’apparition d’une forme de vie. Or, quand nous utilisons l’énergie nucléaire, c’est une sorte de régression : nous créons quelque chose que la nature a essayé de détruire pour rendre la vie possible. Je crois qu’au bout la race humaine va s’anéantir elle-même, et il est beaucoup plus important de contrôler cette force horrible et d’essayer de l’éliminer, que de l’utiliser, fût-ce pour des raisons médicales ou pour produire de l’électricité ».

Mais de quelle mission ce personnage était-il chargé pour tenir devant une telle assemblée des propos aussi scandaleux et qui était-il ? Un incompétent notoire, un attardé sénile ? Pas tout à fait, l’amiral fut le père de la propulsion nucléaire – le sous-marin Nautilus – et de l’électricité nucléaire. Sans lui, ces deux techniques ne seraient pas devenues opérationnelles aussi vite. Et surtout, sans lui, la stratégie de la dissuasion n’aurait pas disposé de sa base, indétectable et toujours capable de répliquer à une première frappe préemptive, qu’est le sous-marin nucléaire.

Ce jour-là, le Congrès a voulu rendre hommage à ce fils de tailleur juif, né en 1900, émigré aux Etats-Unis à l’âge de six ans et qui, pour la dernière fois s’adresse à ses membres en tant qu’officier d’active. Le sénateur Proxmire l’accueille par ces mots : « Au Japon, ceux qui ont démontré leur valeur par une vie entière de services productifs sont officiellement déclarés des « Trésors nationaux ». Ainsi le gouvernement et la nation s’assurent-ils que ces individus vont continuer à contribuer, par leurs aptitudes et leur talents, au bien commun. Aujourd’hui, je vous déclare un Monument national ».

Rickover, ce self-made-man, ce magicien de l’ingénierie et des relations publiques, qui sait résoudre en peu de temps les problèmes dont les spécialistes affirment que la solution exigera plusieurs décennies ; ce modèle du parfait serviteur de la Nation, aussi honnête qu’efficace… doit la longévité de la carrière, unique dans toute l’histoire des Etats-Unis, à ce Congrès auquel il rend également hommage.

Soixante-trois ans de service actif : aucun soldat, aucun fonctionnaire ne sera maintenu si longtemps en fonction. Contre vents et marées, malgré la règle, l’opposition de ses supérieurs et même celle de plusieurs présidents.

Dans le système technique qu’il créa, pas plus que dans le corps de techniciens qu’il commandait, il n’y avait de place pour la moindre faiblesse humaine. Une seule exigence : la compétence. Les « nucs » étaient sélectionnés sur la base des plus stricts critères du mérite, et leurs résultats exclusivement évalués à l’aune de l’excellence. Ce fut une révolution dans les structures militaires où par définition le grade doit prévaloir sur la compétence. Aucune autre priorité n’existait que de venir à bout des programmes dont il avait la charge. Puisqu’il affirmait que c’était possible et puisque le Congrès lui avait confié la tâche de la réaliser, il lancerait le premier sous-marin nucléaire, malgré l’hostilité des uns et le scepticisme des autres et ce, dans les délais qu’il s’était lui-même fixés.

Mais revenons à cette séance du congrès. L’emphase ne peut pas être assez grande en ce jour où, finalement, le vieil amiral est mis à la retraite. L’Amérique lui doit sa flotte atomique et la maîtrise des centrales nucléaires productrice d’électricité. Le sénateur Proxmire fait une remarque : « Le nucléaire civil est pratiquement bloqué dans note pays. Dans mon Etat, par exemple, 30 % de l’électricité viennent du nucléaire, et cependant on me dit qu’il n’y a plus de plan ni même d’espoir pour de nouvelles centrales ».

C’est alors que le commandant des « nucs », l’apôtre et l’architecte des moteurs atomiques, va surprendre son auditoire. Il évoque soudain « les dommages potentiels d’un dégagement radioactif pour les générations futures » et provoque la stupéfaction de l’assistance, prête à tout entendre de lui – sauf cette dénonciation sans merci des applications de l’atome. Le voici pour la première fois comme intimidé devant ce qu’il s’apprête à dire ; il introduit son exposé par cette formule : « Je vais être philosophique ». Et il proclame que le nucléaire est un mal absolu à combattre et à éradiquer, non pas seulement les applications militaires , mais encore toutes les applications civiles, des centrales de puissance aux appareils et aux sous-produits destinés à un usage médical.

Habitués pourtant au franc parler de l’amiral, les membres du Congrès n’en croient pas leurs oreilles et ils lui font répéter (voir plus haut) ce qui dans sa bouche d’expert et d’officier, apparaît aussi saugrenu que s’il désertait devant l’ennemi.

  • « Eh bien, dit le sénateur Proxmire, je n’aurais jamais pensé que quelqu’un qui a vécu si près de l’énergie nucléaire, qui est un tel expert, qui a fait à ce point avancer son domaine, se mettrait à souligner, comme vous dites, que l’atome détruit la vie ! »
  • « Je ne crois pas que l’énergie nucléaire vaille la moindre peine si elle crée des radiations… » répondit l’amiral.

Guy Demenge

lire aussi Les mensonges d’AREVA


Notes :

Sur la vie de l’amiral Rickover : N. Polmar et T.B. Rickover, Controversy and Genius, Simon and Schuster, New York.

Sur la séance du 28 janvier 1982 à Washington : J.-J. Salomon, Le destin technologique, pp. 50 à 65, collection folio actuel, ed. Balland, 1992.

Du même auteur : Survivre à la science, pp. 122 à 126, ed. Albin Michel.

M. J.J. Salomon était titulaire de la chaire Technologie et Société au Conservatoire national des arts et métiers. Il a fondé et dirigé de 1963 à 1983 la Division des politiques de la science et de la technologie de l’OCDE.

 
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