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Articles par thèmes :
OMS - AIEA Tchernobyl
Articles par pays :
Russie - Europe de l’Est
Auteurs :
Michel Fernex
Tchernobyl 20 ans plus tard
Publié le samedi 29 septembre 2007

Article publié dans l’édition du mercredi 26 avril de la revue « Le Dniepr » de l’association humanitaire « Les Enfants de Tchernobyl ».

Tchernobyl 20 ans plus tard : Les problèmes de santé s’aggravent

Controverse à l’ONU

Professeur Michel FERNEX

Des structures comme l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) et son porte-parole, le Comité scientifique des Nations Unies pour les Effets des Rayonnements Atomiques (UNSCEAR), censés orienter les avis et actions des Nations Unies (ONU), minimisent les conséquences sanitaires de Tchernobyl, afin de poursuivre la promotion du nucléaire commercial. En effet, l’objectif statutaire principal de l’AIEA est « d’accroître et d’accélérer la contribution de l’énergie atomique à la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier ».

Le négationnisme nucléaire (en anglais « denial syndrome ») du lobby de l’atome, faisait que ces agences de l’ONU ne reconnaissaient qu’une trentaine de décès dus aux rayonnements, jusqu’en 2001. Ils ont fini par être forcés d’admettre en 1996, quelques 2000 cancers de la thyroïde chez les enfants, que les médecins biélorusses avaient noté dès 1990-91. Ce retard a nui aux victimes, étant donné le coût du traitement. En 2005, au Congrès géant de l’AIEA, entourée d’autres agences de l’ONU, 44 morts et un plafond possible de 4000 décès, qui pourraient survenir dans un avenir indéfini, ont été fixé. Il semblerait que les promoteurs considèrent que ces chiffres approximatifs ne gêneront pas trop la promotion de nouvelles centrales atomiques commerciales.

Dans ce contexte, l’Iran démontre une fois encore, que l’industrie atomique commerciale, dite « pacifique », n’est que le frère siamois de l’industrie de l’armement atomique, alors que l’AIEA n’a pas su bloquer la production de bombes atomiques, ni en Afrique du Sud, ni en Israël, ni au Pakistan ni en Inde

D’autres agences de l’ONU comme l’OCHA, responsable des affaires humanitaires et le Secrétaire Général des Nations unies, Kofi Annan, évoquent 9 millions de victimes suite à Tchernobyl, ce nombre ne faisant qu’augmenter, car il affecte les générations futures.

La section suisse de l’association des Médecins pour la Prévention de la Guerre Nucléaire (IPPNW), a convié à des symposiums scientifiques, dans le cadre de la Faculté de médecine de Bâle puis de Berne, des médecins et experts indépendants, confrontés aux problèmes engendrés par les retombées radioactives de Tchernobyl en Ukraine, dans l’Ouest de la Fédération de Russie et au Bélarus.

Lors du premier symposium, nous avions concentré les présentations sur les maladies dues aux rayonnements des enfants et celles qui survenaient chez les foetus. Cela permettait d’éviter les discussions que les négationnistes nucléaires ont l’habitude d’avancer : « Ces maladies sont dues à la paresse, aux revendications, au stress, à la peur propagée par les médias ». À Vienne, on ressuscitait le terme « radiophobie », on accusait l’alcoolisme et le tabac, parfois la pollution, qui a beaucoup baissé depuis Tchernobyl, l’agriculture n’ayant plus les moyens de gaspiller les pesticides, des usines polluantes, entre autres d’armements, étant fermées.

Nous avons étudié la pathologie liée au césium (Cs-137), du fait de l’étendue des territoires d’Europe touchés par les retombées de ce radionucléide, dont la période, ou demi vie physique, est de 30 ans. Dans les régions les plus touchées, le Cs-137 est sans cesse recyclé par les végétaux et les animaux, ainsi le Cs-137 persiste dans la chaîne alimentaire, l’homme étant au sommet de cette chaîne, donc la principale victime. La limite géographique des zones contaminées change, du fait de la baisse de la radiation externe et de la circulation libre d’aliments contaminés dans le pays. La maladie est aussi devenue un problème social, les familles riches peuvent acheter des aliments propres, les pauvres consommant le lait de leur vache, les poissons des étangs, les légumes de leurs potagers, fertilisés avec les cendres du bois des forêts voisines et contaminées, les baies sauvages, qu’ils vendent aussi le long des routes.

Commencer par les enfants

Dans un même environnement, l’enfant incorpore davantage de Cs-137 que l’adulte ; il est plus vulnérable aux rayonnements ionisants que le sujet plus âgé, en particulier du fait de la multiplication des cellules lors de la croissance. Les enfants nés après mars 1987 n’ont pas connu le « choc d’iode radioactif » d’avril-mai 1986, dû aux isotopes d’iode 132 puis 131, qui représentaient les premiers jours ou semaines la principale source d’irradiation. Le césium 137 a bientôt pris le relais. Cette contamination a causé une grande vulnérabilité des chromosomes dans les cellules de beaucoup d’habitants. Les répercussions tardives sur la santé peuvent se traduire par des cancers dans beaucoup d’années. Cette instabilité génomique persiste dans les tissus, mais peut aussi se transmettre de générations en générations, ce qui se traduit en troubles de la fertilité, en maladies génétiques et malformations congénitales.

Le rapport de l’Ambassade d’Ukraine d’avril 2005

Ce rapport distribué aux médias le 25 avril 2005, signalait que 3.500.000 Ukrainiens, dont un tiers étaient des enfants, avaient été fortement irradiés en Ukraine, suite à Tchernobyl. 160.000 ont été évacués, 7% du territoire national étant fortement contaminé. Le premier janvier 2005, on compte 2.646.106 Ukrainiens officiellement victimes de cette catastrophe. La situation sanitaire se détériore d’année en année, 90% de sujets évacués sont malades. Ce rapport ajoute qu’en 2004 94% des liquidateurs étaient malades. Ces données diffèrent énormément de celles fournies par l’AIEA en septembre 2005.

Ainsi en 2005, le sujet d’étude retenu par IPPNW Suisse a été le groupe des « liquidateurs », une population de 6 à 800.000 adultes sains, sélectionnés, dont l’âge moyen était de 33 à 34 ans. La moitié était représentée par de jeunes militaires de l’armée soviétique, les autres étaient techniciens, maçons, mineurs, pilotes, conducteurs, contraints d’éteindre l’incendie du coeur du réacteur qui avait explosé, de décontaminer la zone des 30km évacuée autour de la centrale, de construire un « sarcophage » au dessus de la ruine. Toute cette activité se réalisait dans un milieu hautement radioactif, riche en poussières d’oxyde d’uranium insoluble, cuit à très haute température, et de plutonium.

IPPNW a cherché à savoir quelles étaient les maladies dont souffraient cette sélection d’adultes sains, militaires ou techniciens, dont normalement le pronostic en ce qui concerne la santé devait être bien au dessus de la moyenne nationale. Comme le congrès de l’AIEA mettait en cause l’état psychique des liquidateurs, leur stress et leur peur ou radiophobie, terme qu’à cette occasion on a ressorti, nous avons cherché à saisir avec précision les maladies neurologiques et psychiatriques qui surviennent chez ces jeunes adultes, avec l’aide de professeurs de psychiatrie hautement compétents.

L’atteinte organique du système nerveux central

Konstantin Loganovsky de Kiev a montré que les liquidateurs souffraient de troubles neuro-psychiques. Il a subdivisé ces travailleurs en fonction des doses radioactives auxquelles ils ont été soumis. Statistiquement il démontre que la fréquence et la gravité des syndromes cliniques sont proportionnels à la dose reçue. A des doses relativement faibles mais prolongées, il note déjà des signes de vieillissement précoce (un syndrome autrefois reconnu par les instances internationales, mais « oublié » depuis quelques années). Dans une enquête systématique, Loganovsky montre que 36% des liquidateurs souffrent de troubles mentaux, contre 20,5% dans la population non irradiée. Chez ces maladies, les états dépressifs sont fréquents et peuvent conduire au suicide. Même la schizophrénie est cinq fois plus fréquente chez les irradiés que dans la population non irradiée. Les neuropsychiatres qui suivent ces maladies irradiés, trouvent des atteintes ou pertes des neurones de structures localisées dans l’hémisphère cérébral gauche (chez les droitiers).

Le professeur Pierre Flor-Henry de l’Université d’Alberta au Canada, trouve les mêmes maladies, à savoir une difficulté à penser, une perte de la mémoire cognitive, une fatigue intense et persistante (syndrome de fatigue chronique), un état dépressif, une impuissance sexuelle, des douleurs neuro-musculaires et articulaires et des céphalées chez les irradiés de Tchernobyl de Russie et d’Ukraine et chez les vétérans des guerres où des soldats ont été exposés aux fumées d’obus perforants d’uranium-238 pur à plus de 99% (dit uranium appauvri). Ces militaires avaient donc inspiré des micro- ou nano particules d’oxyde d’uranium insoluble, les mêmes fumées que celles émises par le réacteur de Tchernobyl en flamme, avec en plus du plutonium

Après un temps de latence de quelques années, les maladies neurologiques apparaissent avec une rapide aggravation de toute la symptomatologie. Les liquidateurs plus jeunes sont plus vulnérables que ceux qui étaient plus âgés en arrivant à Tchernobyl. Les atteintes neuro-psychiatriques graves des liquidateurs ressemblent au syndrome « boura-boura » des rescapés des bombes atomiques au Japon. On peut retrouver ces symptômes chez des militaires qui ont participé aux essais nucléaires. La localisation dominante des lésions dans l’hémisphère gauche, dans ces divers syndromes neurologiques d’irradiés, est reconnue à l’électroencéphalogramme, ainsi que par des technologies récentes comme le spectromètre à résonance magnétique. On retrouve cette localisation des dommages cérébraux dans l’hémisphère gauche chez des sujets ayant survécu à un syndrome d’irradiation aiguë, de même que chez les enfants irradiés in utero peu après l’explosion du réacteur de Tchernobyl.

Les maladies des vétérans de la guerre du Golfe, vainqueurs américains, apparaissent avec le même retard qu’à Tchernobyl. Elles comprennent des troubles neuropsychiques, avec localisation des lésions dans l’hémisphère cérébral gauche. Ces soldats ont inspiré les micro- ou nano-particules de fumées d’oxyde d’uranium-238. Ces particules insolubles et radiotoxiques pénètrent dans les alvéoles pulmonaires. À l’endroit où elles se fixent, elles irradient de façon durable les cellules avoisinantes, entraînant des maladies dégénératives, voire des cancers.

À l’impact, le projectile d’uranium-238 pur à 99% (dit « U-appauvri ») s’enflamme, brûlant les occupants du char. La fumée noire formée à très haute température renferme des particules d’oxydes d’uranium, qui se dispersent en fonction des vents, et des sols. Ces mêmes fumées, riches en oxyde d’uranium ont été émises après Tchernobyl. Ces syndromes neuropsychiques de Tchernobyl, ne se retrouvent pas chez les vétérans soviétiques de la guerre (perdue) d’Afghanistan, qui fut cependant un calvaire pour les combattants, même à leur retour.

L’atteinte de l’oeil

L’atteinte des structures de l’oeil des liquidateurs, comporte comme chez l’enfant contaminé par le Cs-137, des opacifications de cristallin pouvant conduire à une cataracte précoce. Pourtant la contribution de P. Fedirko de Kiev révèle une altération du système vasculaire de l’oeil chez les irradiés de Tchernobyl, avec atteinte de la rétine et maculodystrophie, dont la fréquence passe de 31,4 % en 1993, à 87,4 % en 1997, dans une cohorte de liquidateurs suivie à Kiev,. Aux doses minimes, il note déjà des troubles de l’accommodation, avant que des atteintes morphologiquement détectables surviennent. La cécité peut aussi contribuer à un état dépressif. Ce sont des conséquences tardives et mal connues, surtout suite à une irradiation par des faible dose.

L’atteinte de la cochlée

Les troubles de l’oreille interne et des organes de l’équilibre sont également très fréquents chez les liquidateurs comportent des troubles de l’équilibre, avec vertiges, souvent associés à des troubles de l’audition. Il peut s’agir d’atteintes vestibulaires, c’est à dire de l’oreille interne ou d’altérations du système nerveux central.

Un temps de latence prolongé

Les maladies énumérées ci-dessus surviennent des années après l’exposition aux rayonnements ionisants, elles ont tendance à affecter un nombre toujours croissant de sujets, l’évolution progressive vers la cécité est connue chez nous dans des classes d’âge beaucoup plus élevées. Pourtant, suite à l’irradiation, ces lésions ont un temps de latence prolongé, comme les tumeurs malignes.

Les cancers de Tchernobyl

L’épidémie de cancers de thyroïde de l’enfant était notée dès 1990 déjà. Dix ans après Tchernobyl, le professeur A.E. Okéanov de Minsk constatait chez les liquidateurs une augmentation des cancers du côlon et de la vessie, de même que des leucémies (..). L’incidence des maladies malignes dépendait de la durée du travail dans le rayon de 30 km autour de Tchernobyl, davantage que de la dose reçue. En effet, ceux qui ont été le plus fortement irradiés () sont restés dans la règle très peu de temps sur place. La durée du travail de décontamination et de construction du sarcophage vont de pair avec l’inspiration de poussières d’oxydes d’uranium et de plutonium. Lors de son exposé à Berne en 2005, Okéanov montre que l’ensemble des cancers a maintenant augmenté. Pour 7 différents cancers, cette augmentation est devenue statistiquement significative depuis 1997, par rapport à l’incidence dans la région de Vitebsk, province peu radio-contaminée.

L’épidémie maligne s’est généralisée chez tous les liquidateurs, mais elle affecte aussi les populations demeurées stables en région rurale contaminée. Cette épidémie est une des manifestations graves, souvent mortelles, du vieillissement précoce. C’est d’autant plus évident que cette augmentation touche davantage les sujets jeunes, que ceux âgés de plus de 50 ans, au moment de leur intervention à Tchernobyl.

Les maladies cardiovasculaires, première cause de mort

Cette cause de mort chez les liquidateurs a augmenté dix fois plus vite que dans le reste de la population. Il y a de nombreux facteurs de risques cardiovasculaires augmentés dans cette population de liquidateurs, parmi celles-ci l’infarctus du myocarde et l’hypertension, qui survient aussi chez les enfants, en fonction de la charge de Cs-137 dans leur organisme. L’hypertension d’abord instable et aisée à contrôler, devient persistante et maligne, engendrant des complications.

Le professeur D. Lazyuk montre que la mortalité due aux maladies cardiovasculaires augmente de 2,5% dans l’ensemble du Bélarus de 1992 à 1997, alors que chez les liquidateurs, pendant cette même période, cette mortalité augmente de 22,1%. Ces différences sont statistiquement hautement significatives (p<0,01). Pendant cette période, les zones contaminées comme celle de Gomel, ont une croissance de la mortalité due aux maladies cardiovasculaires de 3,1%, contre 0,2% à Minsk

Conclusion

Ces données ne résument pas tous les problèmes dont souffrent les adultes irradiés de Tchernobyl. Il reste les maladies liées à l’atteinte du système immunitaire, le "Sida de Tchernobyl", les maladies autoimmunes, dont certaines hypothyroïdie, les diabètes sucrés type I et type II, et d’autres maladies endocriniennes, y compris la stérilité. Les maladies génétiques et les malformations congénitales des enfants nés de liquidateurs méritent une grande attention, les maladies digestives, gastrites et ulcères duodénaux, le retard pour la cicatrisation des plaies ou pour la réparation des fractures mériteraient aussi d’être traités. Les années qui viennent nous réservent beaucoup de problèmes à examiner à propos de Tchernobyl, en particulier les maladies qui surviendront dans les prochaines générations.

Le professeur Elena Burlakova montre que la majorité de ces maladies touchent davantage des adultes jeunes et se traduisent par un vieillissement prématuré, lié aux faibles doses de rayonnement chronique. Cette même vulnérabilité aux rayonnements faibles, mais de très longue durée, a été confirmée par les travaux de l’équipe du professeur Rose Goncharova, qui constate l’augmentation des mutations après 20 générations, chez des rongeurs sauvages (campagnols roussâtres), comme chez les souris de laboratoire élevées dans les sols de Tchernobyl, situés entre 40 et 300 km de la centrale.

Pour les humains, il ne faut pas imaginer que les problèmes s’estomperont avec la commémoration des 20 ans de Tchernobyl. Le souvenir s’inscrit dans le futur.

Pr. Michel Fernex