Paul Bonny :
Sept cadres supérieurs – dont le Directeur – de la DSN (Division principale de la sécurité des installations nucléaires) sont membres de l’Association suisse pour l’énergie atomique (ASPEA).
La revue « Energie & Umwelt » révèle ces fréquentations ambiguës dans son numéro 1/02. On y découvre en outre que le Dr Johannis Nöggerath, chef de la recherche sur la sécurité nucléaire, siège également au Conseil d’administration de la SOSIN, soit la Société suisse des ingénieurs nucléaires. Cette organisation s’est surtout manifestée en minimisant les dangers du nucléaire et en tentant de faire croire au bon peuple que la radioactivité de nos centrales était tout ce qu’il y a de plus naturelle. Donc sans danger.
On ne peut que s’inquiéter en découvrant qu’une fois de plus, le débat sur le nucléaire est faussé par un lobby doublement redoutable : non seulement il a muselé l’organisme qui devrait dénoncer les dangers de cette industrie pour notre santé - l’OMS1 - mais il a encore réussi à noyauter nos autorités fédérales.
Résultat : ceux qui devraient surveiller le nucléaire en sont devenus les promoteurs. Et ceux qui devraient le condamner se taisent.
Quant aux décisions politiques pour sortir au plus vite de l’impasse nucléaire et se tourner résolument vers les énergies renouvelables, on comprend maintenant pourquoi elles se font attendre !
Paul Bonny
1 L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est placée depuis 1959 sous la tutelle de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) dont le rôle est de promouvoir l’énergie nucléaire dans le monde. L’accord qui lie ces deux organisations membres de l’ONU prévoit qu’elles “agiront en coopération étroite”.
Premier résultat tangible suite à notre échange de correspondance avec Ruth Dreifuss en vue de connaître les conséquences sanitaires de Tchernobyl en Suisse* : une réunion nous a été proposée à Berne.
Nous y avons rencontré une délégation de l’Office fédéral de la santé publique (MM. B. Michaud, sous directeur, et C. Murith) ainsi que le Président de la Commission fédérale de protection contre les radiations et de surveillance de la radioactivité (M. J.-F. Valley). Etait également invité M. J.-M. Lutz, Institut de Médecine Sociale et Préventive, responsable du registre des cancers. Malheureusement, il s’est fait excuser. Cette réunion s’est tenue à Liebefeld, près de Berne, le 3 octobre dernier, de 14 h à 17 h. La délégation de ContrAtom comprenait Michèle Rivasi (partie de Valence à quatre heures du matin, bravo et merci !) le Prof. Michel Fernex et le soussigné.
Seize questions pour tenter d’y voir clair
Souhaitant recevoir des réponses satisfaisantes à nos interrogations, nous avions décidé d’adresser nos questions deux semaines avant la séance. Voici les 16 questions posées :
Dix kilos de papier en guise de réponse
« Vous trouverez toutes les réponses à vos questions dans ces rapports » annonça fièrement M. Murith en caressant un volumineux carton bourré de documents !
Merci… et soyez gentil de me les envoyer à Valence, car c’est un peu lourd et… je voyage en train… répondit Michèle Rivasi. Ce qui fut fait. Et Michel Fernex recevait à Rodersdorf la même ration (10 kg) de documents. Il faudra encore un peu de temps à Michèle et à Michel pour compulser ces rapports et y trouver – espérons-le – les réponses à nos interrogations. Nous reviendrons donc en temps utile sur ce dossier.
Une conversation surréaliste
Était-ce l’atmosphère étouffante de ces lieux écrasants, mal ventilés et surchauffés, où je me sentais proche de la déshydratation ? Était-ce le niveau assez technique des propos qui échappaient parfois au néophyte ? Toujours est-il que l’aimable conversation qui s’est engagée m’a parue passablement déshumanisée, hors du réel, inquiétante. Visiblement, nos hôtes étaient satisfaits : ils avaient mis sur le papier des chiffres, des courbes, des analyses, des limites, des doses et, surtout, des propos rassurants. Mission accomplie. Tout est sous contrôle. Où est le problème ?
On peut tout de même être surpris qu’à l’Office fédéral de la santé publique, pour évoquer un problème concernant la santé de millions de gens, il ne se soit pas trouvé un médecin pour participer à cette séance. La présence, dans notre délégation, du prof. Fernex ne méritait-elle pas que l’on prévoit un interlocuteur à son niveau ?
Bien que les réponses à nos questions allaient nous être livrées noir sur blanc, on tenta quand même d’aborder les sujets qui nous tenaient particulièrement à cœur. En résumé :
Le lait : la Suisse a pris toutes les mesures nécessaires pour que les normes soient respectées (370 Bq/l). Les contrôles ont été effectués à la production et sur les produits, avant leur mise sur le marché. Ce qui se passe dans les centrales laitières échappe à ces contrôles. Et l’on dit effectivement que le Tessin a exporté en Suisse centrale son lait contaminé afin de le diluer dans du lait « propre »…
Information : selon les journaux de mai 1986, les « recommandations » étaient effectivement assez peu contraignantes. Mais la leçon a été tirée, et désormais, cette notion disparaîtra. La nouvelle loi prescrit uniquement « des mesures contraignantes ». Les populations isolées ont été informées par la radio. Il n’y a pas eu d’harmonisation de l’information entre les différents pays touchés par le nuage de Tchernobyl.
Études épidémiologiques : des études sont en cours. Certaines sont controversées. Au fait, qui décide d’entreprendre ces études ? Personne ne sait. Et certaines de ces études ne sont jamais réalisées « parce qu’on connaît d’avance les résultats… » Michèle Rivasi insiste sur l’urgence d’entreprendre ces études. Il faut se donner les moyens nécessaires afin d’informer les gens pour les rendre responsables !
Michel Fernex s’inquiète de l’augmentation des maladies auto-immunes, des allergies, des malformations, du diabète, dont il faut rechercher les liens avec la contamination au césium.
Éthique : devant le malaise croissant de certains scientifiques intègres, il devient nécessaire de créer une large prise de conscience éthique internationale. Les laboratoires doivent pouvoir travailler à l’abri des pressions et en toute indépendance financière. Ce qui est loin d’être le cas actuellement.
Paul Bonny
NB L’opinion de Michèle Rivasi et de Michel Fernex sur les réponses trouvées dans la documentation de l’OFSP sera publiée dans notre prochain bulletin. * Notre premier courrier datait du 7 mai 2001 ! Voir nos bulletins Nos 60 et 62 .