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Norvège
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No 60, septembre 2001
No 60, septembre 2001
Publié le vendredi 28 septembre 2007

Norvège : informations et réflexion d’un marché de l’électricité libéralisée

La Norvège a été un des premiers pays européens à entamer un processus d’ouverture du marché de l’électricité en adoptant en 1991 la loi sur l’énergie qui consacre le principe de la libéralisation de ce marché. Ce processus a conduit à une ouverture complète en 1997. Depuis, n’importe quel citoyen du pays peut choisir son producteur d’énergie électrique ; les boîtes aux lettres des Norvégiens sont d’ailleurs bien garnies avec des offres pour une électricité moins chère.

Cette loi a instauré la compétition entre les moyens de production, afin que le marché conduise à un système plus efficace que le traditionnel monopole. En terme de prix, le marché a rempli ses fonctions : les prix ont baissé, avec les traditionnelles variations annuelles ou journalières dues à l’offre et à la demande (la Norvège est, pour l’instant, à l’abri d’une situation à la « californienne »).

Quelles sont les conséquences d’une telle libéralisation sur les économies d’énergie et sur l’approvisionnement en énergie renouvelable pour la Norvège ? Est-ce que la libéralisation permet le développement des énergies renouvelables comme le prétendent certains écologistes ?

L’énergie hydraulique

La Norvège est le premier producteur européen d’énergie hydraulique et le sixième au rang mondial. La puissance hydroélectrique installée est de 27000 MW pour une production annuelle d’environ 110 TWh (téraWattheure soit 1012Wh). A titre de comparaison la production d’électricité hydraulique en Suisse est inférieure à 40 TWh, c’est-à-dire près de trois fois moins. Les Norvégiens, grands consommateurs d’énergie électrique, sont alimentés par une électricité d’origine hydraulique à plus de 98 %. Des champions du renouvelable ! La taille du pays, sa topographique et son réseau hydrologique permettent d’envisager un développement important de l’énergie hydraulique, contrairement à notre pays qui arrive bientôt au bout de ses capacités. Ce potentiel de développement équivaut aujourd’hui à plus de 70 TWh de production annuelle ! Plus de la moitié de ce chiffre ne peut pas être exploité pour des raisons écologiques, moins d’une dizaine de TWh concerne l’amélioration des centrales existantes, reste environ 30 TWh qui pourraient être produit annuellement. En bref et en théorie, la Norvège a un potentiel de développement hydraulique, énergie renouvelable, énorme.

Or qu’est-il advenu ? Jusqu’en 1990 la puissance hydraulique n’a cessé de croître, suivant l’évolution de la demande d’énergie électrique. Depuis le début des années nonante, la puissance installée n’a pratiquement pas augmenté. Normal, puisque la libéralisation a conduit les investisseurs à une très grande prudence : personne n’a osé mettre de l’argent dans la construction de barrages, constructions très intensive en capital initial et en frais financiers par la suite. La demande continuant à croître, la Norvège est donc passée d’un statut d’exportateur d’énergie électrique à celui d’importateur. Pour éviter une situation de pénurie, il fallait développer de nouveaux moyens de production.

Avec les capacités hydrauliques présentées ci-dessus et la fibre environnementale scandinave, on peut supposer que c’est la construction de barrages qui permettra de fournir de nouveaux kWh. Eh bien non ! En début d’année, le Gouvernement norvégien a finalement décidé d’autoriser la construction des premières grandes centrales électriques alimentées au gaz : deux centrales de 400 MW seront construites dans l’ouest du pays. Cette décision a été rendue possible suite à l’assouplissement des exigences concernant les émissions de dioxyde de carbone (il existe une taxe sur le CO2). Pourquoi une telle décision ? Simplement parce qu’un marché libéralisé impose que la durée d’amortissement soit la plus brève possible. Sur ce point les centrales au gaz sont bien meilleures que les barrages… et pour donner le coup de pouce final à cette énergie non renouvelable, il suffit d’assouplir les exigences en matières de taxes environnementales… même dans un pays scandinave !

Le nouveau renouvelable : l’énergie éolienne

Parmi les nouvelles énergies renouvelables capables de produire de l’électricité de façon non confidentielle, l’éolienne est la plus prometteuse en Europe. Les coûts de production du kWh n’ont cessé de décroître. Les techniques et les connaissances ont fait de gros progrès ces dix dernières années, la puissance des machines aussi. Actuellement, des éoliennes de 1,5 MW sont disponibles pour une exploitation commerciale. Il existe plusieurs prototypes de plus de 3 MW et les constructeurs espèrent pouvoir les produire en série d’ici quelques années. En parallèle, ils planchent sur des « monstres » de plus de 4 MW. La perspective de pouvoir placer des champs d’éoliennes en mer (off-shore) sur les côtes européennes les plus propices, en particulier en Grande-Bretagne et sur la côte Atlantique Nord, ouvre une nouvelle ère pour ce type de production renouvelable, l’atteinte à l’intégrité des sites étant en partie résolue.

Le Danemark, grâce à une politique énergétique progressiste et responsable, dont la mise en place remonte à la première crise du pétrole, est le pays le plus résolument tourné vers ce type de production. L’Allemagne s’y met aussi. Qu’en est-il de la Norvège ? Le potentiel est prometteur, dans la mesure où des vents continus et forts balaient une bonne partie du pays. Mais il est nécessaire pour cela d’afficher clairement un objectif politique, puisque les coûts ne sont pas concurrentiels par rapport par exemple à la production électrique issue des centrales au gaz.

En décembre 1999, l’ensemble de la puissance installée était de 13 MW, à comparer aux 27000 MW hydraulique en service et les 800 MW qui seront mis en service pour le gaz. Dans le meilleur des cas, la production d’électricité d’origine éolienne devrait se situer entre 1,5 et 3 TWh en l’an 2010… c’est en gros seulement la moitié de l’augmentation de la consommation d’énergie électrique intervenue au cours d’une unique année, entre 1997 et 1998, suite à l’ouverture complète du marché de l’électricité !

Si l’objectif maximaliste de 3 TWh est atteint en 2010, ceci signifie qu’il sera nécessaire d’installer plus de 800 MW de puissance éolienne, à peu près la même chose que ce qui est prévu avec les deux centrales au gaz. D’ici là, la consommation aura sans doute crû et d’autres centrales au gaz seront entrées en service grâce à leur très bonne compétitivité.

En bref, il vaut bien mieux économiser l’énergie et développer l’hydraulique dont le potentiel est bien plus important (10 fois plus)… mais le marché en a décidé autrement.

Evolution du PIB* et de la demande en électricité

Depuis de nombreuses années, les économistes utilisent, pour les analyses d’évolution de la demande, la relation étroite qu’il existe entre la demande d’énergie et l’évolution du PIB. En général, il existe une corrélation importante entre ces deux paramètres : il suffit alors de dire que si le PIB augmente de trois pourcent par année alors la demande d’énergie augmente aussi de trois pourcent . Cette simple arithmétique ne tient pas la route du point de vue environnemental. Il est nécessaire que cette corrélation soit découplée, tout au moins dans les pays industrialisés. En effet, la maîtrise de la consommation d’énergie, nécessaire pour que nos sociétés s’engagent sur la voie du développement durable, impose une baisse, ou tout au moins une stabilisation de la demande en énergie.

Pour illustrer ceci, il est nécessaire de se rappeler que si le PIB augmente de 3 % par an et que la demande d’énergie fait de même, alors la consommation d’énergie double après 20 ans, ce qui n’est tout simplement pas supportable à moyen terme (sans parler du long terme !).

Depuis bien longtemps, les mouvements environnementaux réclament une maîtrise de cette demande, maîtrise qui passe obligatoirement par un découplage entre les deux paramètres cités ci-dessus. Il est dès lors pertinent de voir comment évoluent ces deux paramètres dans les pays où la libéralisation du marché de l’électricité est achevée. A ce point, il n’existe pas d’étude exhaustive sur l’influence de la libéralisation du marché de l’électricité sur l’évolution du PIB et de la demande d’électricité. Par contre, il est possible de tirer quelques conclusions provisoires, en répertoriant quelques faits marquants du marché de l’électricité norvégien. Les voici.

De 1991 à 1997, le PIB a cru en moyenne de 4,2 % par an, alors que la consommation d’énergie augmentait en moyenne de 0,8 % par an, le découplage souhaité est effectif, le PIB augmente bien plus rapidement que la consommation d’énergie électrique. L’ouverture totale du marché en 1997 a conduit à une nette augmentation de la demande d’électricité. Entre 1997 et 2000, le PIB a crû en moyenne de 1,7 % par an, alors que la consommation d’électricité augmentait en moyenne de 2,2 % par an, le PIB augmente moins rapidement que la consommation d’énergie électrique, exactement le contraire de ce qui est souhaitable d’un point de vue environnemental.

PIB et demande électrique : corollaire

Deux chercheurs de la Banque UBS Warburg ont présenté dernièrement (mois de mars 2001) une étude sur la qualité du crédit consacré aux infrastructures électriques. A juste titre, les auteurs se demandent comment vont évoluer les bénéfices nets des entreprises électriques et la demande d’électricité en Suisse. Normalement, comme le soulignent les auteurs, l’évolution de la demande d’électricité suit celle du PIB (ce qui est déjà un non-sens écologique), mais ils estiment, dans les conclusions de ce rapport, que pour les prévisions futures, il est nécessaire de découpler légèrement l’évolution du PIB avec l’évolution de la demande en énergie. Dans quel sens ? Le contraire de ce qu’il serait urgent de faire : dans les années à venir, l’évolution de la demande en énergie électrique devrait être supérieure à l’évolution du PIB. Ce qui conduit à un gaspillage accru, libéralisation oblige !

Cette prévision pour la Suisse va évidemment dans le sens de ce qui est observé en Norvège dans les faits.

Norvège : dernières nouvelles

La consommation d’électricité pour le mois de janvier 2001 a été de 6,9 % supérieure (885 GWh) à janvier 2000, qui avait déjà été un record absolu pour un premier mois de l’année. Cette consommation a atteint 13642 GWh pour l’ensemble du pays. Ce record impressionnant n’est pas explicable par des températures rigoureuses –le chauffage électrique est très courant en Norvège– car la température moyenne de ce mois de janvier était supérieure à la normale. Reste la reprise économique et surtout l’augmentation très probable du gaspillage pour expliquer une telle dérive.

Rebelote, en février record absolu pour ce mois : 5,1 % de plus que le précédent record de 1996. Conséquence, la Norvège continue d’importer de l’électricité, en attendant la production des centrales au gaz polluantes.

Pour les quatre premiers mois de l’an 2001, la consommation a été de plus de 5 % supérieure à la même période de l’an 2000 (qui avait déjà été un record). Des croissances aussi importantes, comme celle entre 1997 et 1998, après l’ouverture complète du marché de l’électricité, et celle qui semble se dessiner actuellement pour l’an 2001, n’avaient pas été observées depuis le début des années 1980, dernier soubresaut des Trente Glorieuses !

Il n’y a pas besoin de faire de longues analyses pour se rendre compte des effets d’une libéralisation d’un marché de l’électricité : gaspillage de l’énergie électrique et orientation des investissements vers les moyens de production les meilleurs marchés, c’est-à-dire du non renouvelable. L’exemple norvégien est édifiant et devrait naturellement nous conduire à soutenir de façon univoque le référendum contre la loi sur la libéralisation du marché de l’électricité.

A ce titre, le rapport SuisseEnergie consacre cinq lignes et demi à la LME. Dans ce bref paragraphe, une conclusion limpide : « La LME est synonyme d’ouverture du marché de l’électricité. Les prix de l’électricité vont baisser ; dès lors, l’utilisation rationnelle de l’électricité et l’exploitation des sources d’énergie renouvelables revêtiront un attrait moindre » (p.23 de « SuisseEnergie, le programme subséquent d’Energie 2000). C’est clair, malheureux et d’une totale incohérence avec une politique énergétique responsable à un moment où presque tous nos édiles et parlementaires parlent de développement durable !

Genève, juillet 2001

Jean-Luc Zanasco

*Produit intérieur brut

Sources : la majeure partie des données utilisées pour la rédaction de cet article sont tirées du site et de rapports qui peuvent être télé-déchargés de l’Institut norvégien de statistiques (www.ssb.no/english).

 
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