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Articles par thèmes :
LME
Articles par pays :
Etats-Unis
Journal par No :
No 59, juin 2001
Auteurs :
Pierre Vanek
No 59, juin 2001
Publié le vendredi 28 septembre 2007

USA/Libéralisation : Au bal de l’empire, le nucléaire repart de poubelle

En plus de la nouvelle guerre des étoiles et d’autres initiatives qui font froid dans le dos, Bush s’engage fermement dans la relance du nucléaire. On a vu la servilité avec laquelle des milieux de la droite patronale helvétique (Radicaux, UDC) ont embouché les mêmes trompettes que lui, pour remettre en cause les engagements de Kyoto en matière de limitation d’émission de gaz à effets de serre. On peut donc s’attendre sous peu à ce que les fans du nucléaire helvétique reviennent à la charge avec des propositions « constructives » et s’engouffrent dans les portes grandes ouvertes par le Conseil fédéral avec son nouveau projet de loi atomique (LENu). Celui-ci s’engrène admirablement avec le dispositif de privatisation/libéralisation de la Loi sur le marché de l’électricité (LME). Une libéralisation qui - au vu de l’expérience américaine - ne pourra vraiment plus être présentée par certains verts ou sociaux-démocrates helvétiques, comme devant mettre un terme au nucléaire.

Il vaut donc la peine de revenir sur le feuilleton atomique aux USA. On y a vu une sinistre farce en trois actes :

premièrement, l’industrie nucléaire américaine a déjà reçu des milliards de dollars en cadeau au titre de compensations pour les « investissements échoués » des nucléocrates dans des centrales atomiques dont la survie économique était présentée comme devant être mise en péril par la libéralisation/dérégulation du marché de l’électricité. La facture à ce titre pour la seule Californie a été estimée à 28 milliards de dollars.

ensuite, au bénéfice de cette même dérégulation néolibérale, des spéculateurs ont orchestré la pénurie électrique en Californie, notamment en mettant des installations de production hors-ligne au « bon » moment pour faire exploser les prix du mégawatt-heure et encaisser, encore une fois au détriment de la collectivité et du public, des milliards de dollars supplémentaires.

troisième acte de la farce, prouvant que la seule teinte de vert que le team Bush/Cheney aime bien c’est la couleur du dollar, la nouvelle administration lance fin mai un « plan », pour faire face à la prétendue « pénurie » d’énergie orchestrée savamment, dans le pays qui en consomme et en gaspille le plus au monde, en relançant massivement et de manière volontariste la production d’énergie, notamment de source nucléaire.

Vive la France... et l’American way of life

Il faut rappeler que les USA consomment le 25% de toute l’électricité produite dans le monde (chiffres de 1999) soit à eux seuls plus que la consommation totale combinée de la Chine, de la Russie, de la France, de l’Allemagne, de l’Angleterre et de l’ensemble de l’Amérique latine.1 Le potentiel d’économies d’énergie est évidemment à la hauteur de cette consommation gargantuesque, mais ne répondrait pas aux exigences de profit des multinationales dont le nouveau président est un serviteur particulièrement zélé.

Sur le chapitre nucléaire Bush a cité ...la France en exemple « qui produit 80% de son électricité avec l’atome », alors que les USA en sont « seulement » à 20% et qu’aucun nouveau réacteur n’a été construit outre-Atlantique depuis l’accident de Three Mile Island en 1979. Il annonce bien sûr « des nouveaux concepts et modèles de réacteurs qui sont plus sûrs et plus rentables que ceux dont on dispose aujourd’hui ». Au passage, relevons qu’il est amusant de voir le « libéral » Bush partisan du « tout-au-marché » invoquer l’exemple de la France et de son complexe nucléaire réalisé dans le cade d’un programme étatique aussi remarquable quant à sa mise en oeuvre ...qu’antidémocratique et détestable quant à ses objectifs.

Retraitement : le grand retour du plutonium

Sur la question des déchets c’est aussi l’Hexagone qui est invoqué comme modèle. Le Vice-président Richard Cheney - face à l’impasse, aux USA comme partout ailleurs - concernant le problème littéralement insoluble des déchets radioactifs, déclare que « Les Français ont très bien réussi, dans un environnement propre et sûr, et nous devrions être capables d’en faire autant. »2

Jusqu’ici, les 103 centrales américaines, qui constituent rappelons-le le plus grand parc nucléaire du monde, stockent leur combustible usé sur site, dans leur piscines de refroidissement. Elles ont déjà accumulé un inventaire de 42 000 tonnes et le stock « s’enrichit » de 1700 tonnes par an. Les autorités prévoyent un forcing pour mettre en service un dépôt « final » à Yucca Moutain, dans le désert du Nevada, malgré les protestations de plus en plus bruyantes des habitant-e-s de cet Etat.

Bien entendu, le plan Bush comporte la mise à l’étude du redémarrage du retraitement du combustible, interdit sous Carter aux USA, derrière lequel se profile la relance d’un programme de surgénérateurs. Le retraitement sera étudié « en collaboration avec des partenaires internationaux expérimentés en la matière comme la France et le Japon. » Les républicains évoquent le retraitement en relançant le mythe abusif selon lequel celui-ci permettrait de « réduire le volume des déchets ».3

Ceci est faux, le volume des déchets augmente et la pollution radioactive aussi. Mais surtout ils oublient de parler du plutonium produit en masse par le retraitement et de la base que cette production constitue pour relancer la prolifération sauvage d’armements nucléaires. (Il est vrai que c’est la perspective de cette même prolifération entre les mains d’Etats renâclant devant l’hégémonie américaine qui sert de prétexte au nouveau projet de « bouclier antimissile » US qui transférera encore une fois des milliards de fonds publics dans les caisses des trusts de l’armement.)

Des « expériences » réellement existantes des partenaires internationaux envisagés, en matière de retraitement, que constituent le fiasco des surgénérateurs de Superphénix à Creys-Malville ou de Monju au Japon, ainsi que de la pollution radioactive autour de l’usine de retraitement de La Hague en Normandie ou du grave accident dans l’installation de retraitement de Tokaimura au Japon, on n’en parle pas... Pas plus que l’on parle du scandale des falsifications des données par la British Nuclear Fuels à Sellafield, qui a interrompu la production du combustible MOX, dopé au plutonium, dans l’usine britannique de Sellafield. (Il faut dire que BNFL est de plus en plus présent aux USA...)

Bénis soient les consommateurs... de petite vertu

En avril à Toronto, Richard Cheney, a ouvert le bal productiviste en s’attaquant de front à l’idée de promouvoir l’utilisation rationnelle de l’énergie. « Economiser l’énergie peut être un signe de vertu personnelle, mais pas la base d’une politique de l’énergie saine et globale. » a-t-il déclaré.

Le porte parole de la Maison Blanche chargé de « préparer le terrain » médiatique avant la présentation du plan Bush à la presse, résumait quant à lui la philosophie de son président en la matière comme suit : « Le président pense que le niveau élevé de consommation d’énergie correspond au mode de vie américain, et que l’une des tâches des élus est de protéger le mode de vie américain. Le mode de vie américain est béni. »4

Pourtant, dans un sondage d’opinion publié à la mi-mai, à la veille de la publication du plan Bush, face à l’alternative entre « préservation des ressources » et « augmentation de la production », ce sont quand même 47% des Américains qui répondent en approuvant le premier terme de l’alternative malgré d’importantes hausses du prix de l’essence à la pompe, contre 35% qui veulent relancer la production.5

Mais l’administration n’en a cure et met en chantier, quand même, la liquidation systématique de tous les éléments positifs existants dans la politique énergétique américaine.

La négation du négawatt

Comme le disait récemment le porte-parole de la City Light Utility, régie municipale de Seattle : « Ces gens de l’administration Bush jouent aux durs virils, montrent leurs cornes et veulent faire croire que les économies d’énergie c’est pour les lopettes. Mais nous savons d’expérience que ça marche, l’énergie économisée, c’est de l’énergie produite. »6 « Au cours des dix dernières années, nous avons économisé assez d’énergie pour éviter d’avoir à construire une nouvelle centrale gigantesque » renchérit dans le même sens le directeur de la Sacramento Municipal Utility en rajoutant : « Nous aimons à dire que nous avons construit une ‘centrale’ à économies d’énergie. » C’est tout le concept de production dite de Négawatts, de Mégawatts économisés, développé notamment par certaines compagnies américaines, et que ContrAtom défend depuis des années, qui est clairement dans le collimateur de l’administration.

Un ou deux exemples parmi d’autres du « cours nouveau » en question :

- Un récent rapport du département de l’énergie américain indique qu’une vingtaine de technologies développées par le gouvernement fédéral dans les années 1990 pour un coût de 720 millions de dollars ont permis des économies à hauteur de 30 milliards, mais dans son budget Bush prévoit de réduire le financement de la recherche dans ce domaine de 29 % (180 millions de moins).7

- Bush a également réduit d’un tiers les normes fixées en fin de règne par Clinton en matière de consommation électrique des appareils de climatisation, ceci alors que les calculs du Département de l’énergie indiquent qu’en 30 ans la nouvelle norme permettait une économie équivalente à une année entière de consommation électrique nationale.

On pourrait multiplier les exemples...

Rien de surprenant à cette orientation favorable à l’explosion de la consommation d’énergie dans tous les domaines : le président, le vice-président, deux membres du cabinet et six responsables des plus hauts postes de l’administration, sans parler du secrétaire à l’énergie lié à l’industrie automobile, proviennent des milieux de l’industrie énergétique. L’an passé les pétroliers ont contribué à hauteur de 20 millions de dollars aux cagnottes du parti républicain... Un excellent investissement on l’aura compris.

Une « régulation » qui tourne ...Enron

On apprenait récemment l’intervention directe, dans le cadre des nominations aux postes à la Federal Energy Regulatory Commission (FERC), chargée de « réguler » le marché US de l’énergie, de la multinationale Enron, un mammouth qui pèse 100 milliards de dollars dans le trading énergétique, et qui soutient becs et ongles la libéralisation/déréglementation des marchés de l’électricité, particulièrement l’ouverture des marchés des Etats aux fournisseurs extérieurs.8

Kenneth Lay, président d’Enron est un « ami de la famille » de Bush, sa compagnie a versé des millions pour sa campagne, et « naturellement », avec d’autres dirigeants d’Enron, il a procédé a des interviews des papables et fourni à Bush une liste des candidats préférés de la compagnie pour occuper les sièges vacants à la FERC.

Le président intérimaire de la commission, Curtis Hébert, qui venait de lancer une enquête sur la politique des prix des gros traders d’électricité comme Enron, a reçu quant à lui un coup de fil de M. Lay lui offrant l’appui de la compagnie pour une nomination définitive à ce poste s’il « adaptait ses vues » en matière de dérégulation. Hébert a refusé et rendu publique cet appel. Depuis, le Vice-président Dick Cheney a remis en cause la nomination de Hébert ...il n’a en effet manifestement pas le profil du poste !

Libéralisation et ... cinquante nouveaux réacteurs

Le lobby nucléaire américain, se sent quant à lui pousser des ailes dans ce contexte et a des plans pharaoniques pour mettre en ligne pour 2020 9 : cinquante mille mégawatts de puissance issue de nouvelles centrales nucléaires (l’équivalent de 50 nouveaux réacteurs de « standard » de 1000 MW) ainsi que, dans le cadre de ce qu’ils appellent des « quicker fixes » (sic !)10 d’atteindre 10% d’augmentation de la production des centrales existantes ...comme le Conseil fédéral l’avait inscrit dans les objectifs d’Energie 2000.

En janvier déjà, le Nuclear Energy Institute, organisation faîtière de l’industrie atomique US, annonçait que selon ses calculs l’électricité atomique, pour la première fois depuis 10 ans, remportait la palme « des coûts de production les plus bas parmi toutes les sources d’électricité significatives »11 et que « Du fait du bas niveau des frais d’exploitation courants, les centrales nucléaires seraient florissantes dans un marché électrique libéralisé... » Pour les autres coûts, pas de problème, on les fera supporter - d’une manière ou d’une autre - par la collectivité !

Parmi les mesures concrètes de l’administration Bush pour favoriser la « renaissance » espérée du nucléaire on trouve :

- Une simplification des procédures d’autorisation de prolongement des autorisations d’exploiter des centrales existantes, ceci alors que ces procédures ont d’ores et déjà été « simplifiées » au point d’exclure pratiquement les recours du public contre ces décisions.

- Un renouvellement de la limite de responsabilité assurée pour l’ensemble de l’industrie nucléaire en cas d’accident à la broutille de 7 milliards de dollars12 . En cas de pépin ce sont les contribuables qui passeront à la caisse.

- Une classification de l’industrie nucléaire en matière de gaz à effets de serre comme étant une activité à « zéro émission ». Alors que, sans parler des « émissions » radioactives à toutes les étapes du cycle, si l’on prend en compte l’ensemble de la chaîne du combustible, de la mine, à la production du combustible, à son éventuel retraitement et au dépôt « final » des déchets, on trouve des émissions d’un facteur bien plus élevé que pour des sources renouvelables

Tromperie sur la marchandise

Sur ce dernier point il vaut la peine de rappeler qu’au moment du lancement de la construction de centrales nucléaires aux USA dans les années cinquante, plusieurs grosses centrales ...au charbon, ont dû être construits pour alimenter les usines d’enrichissement de l’Uranium indispensables pour livrer le combustible atomique nécessaire et très grosses consommatrices d’électricité.

En 1998 d’ailleurs, la Federal Trade Commission a jugé que les publicités de l’industrie nucléaire US présentant le nucléaire comme « une source d’énergie sans émission de gaz à effet de serre et qui protège l’environnement » étaient trompeuses du fait précisément qu’on escamotait la consommation de charbon alimentant en courant le processus d’enrichissement du combustible.13 et produisant massivement du gaz carbonique.

Regroupement des nucléocrates ...mais aussi des opposants

Un autre facteur « favorable » à la relance nucléaire aux USA est le processus de concentration en cours dans le domaine nucléaire. Naguère on comptait dans ce pays 50 opérateurs distincts de chaudières à plutonium, aujourd’hui ils ne sont plus que 33, et le processus devrait se poursuivre en direction d’une dizaine d’opérateurs au plus qui sauront faire valoir leurs intérêts de manière plus musclée encore.

Sombre tableau donc, mais le revers de la médaille, c’est que face à cette offensive sans précédent, on assiste également aux USA à une levée de boucliers d’organisations de défense de l’environnement et de secteurs progressistes, qui s’unissent et visent à se battre pied à pied pour des solutions alternatives, avec un radicalisme nouveau et prometteur. Nous y reviendrons dans un prochain article.

Pierre Vanek

1 Source Public Citizen organisation de consommateurs US (communiqué du 2.5.01)

2 Le Monde du 18.5.01

3 Libération du 18.5.01

4 Le Monde du 18.5.01

5 Sondage de l’institut Gallup cité par l’AFP dans une dépêche du 15.5.01

6 New York Times 11.5.01

7 Indications tirées de la revue US In these Times du 11.6.01

8 Selon une enquête conjointe du NY Times et du Public Broadcasting Service (PBS) relatée dans le Guardian du 26.5.01

9 From Renaissance to Reality 2020 Nuclear Energy, Nuclear Energy Institute Washington 2001

10 Un quick fix est une solutions rapide bricolée à la hâte

11 Cité dans un communiqué de l’ASPEA(Association Suisse pour l’Energie Atomique) du 9.1.01

12 Renouvellement du Price-Anderson Act

13 Source Mother Jones 23.5.01

 
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