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OMS - AIEA
Auteurs :
Paul Bonny
Un accord contre nature empêche l’OMS de remplir sa mission
Publié le samedi 29 septembre 2007

Un accord contre nature empêche l’OMS de remplir sa mission

Depuis plus de 40 ans, deux organisations – membres de l’ONU – collaborent étroitement, discrètement, dans l’indifférence apparemment générale, bien que leurs missions soient diamétralement opposées.

Cette collaboration a un but : favoriser la promotion de l’énergie atomique à tout prix. Un prix très élevé pour plusieurs générations d’Ukrainiens, de Russes et de Biélorusses dont le destin a été irrémédiablement brisé par l’accident de Tchernobyl. Pour les Polynésiens et les indigènes de l’atoll de Bikini, le prix payé dans les années cinquante fut inhumain. Comme le furent les essais américains, russes et même suisses, qui utilisèrent des cobayes humains à qui l’on administrait des produits radioactifs. Un prix que nous n’avons pas fini de payer : les innombrables victimes potentielles de l’augmentation de la radioactivité ambiante se chargera de nous le rappeler longtemps encore.

Cette imposture a été rendue possible grâce aux liens étroits qui unissent l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) à l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique).

Le ton est donné, en 1958, par un rapport de l’OMS où l’on peut lire : « La solution la plus satisfaisante pour l’avenir des utilisations pacifiques de l’énergie atomique serait de voir monter une nouvelle génération qui aurait appris à s’accommoder de l’ignorance et de l’incertitude... »

Cet inquiétant souhait jette un éclairage révélateur sur l’attitude de l’OMS face aux conséquences du nucléaire sur la santé. Une attitude incompatible avec l’esprit et la lettre de sa Constitution. Cette phrase est, en fait, la conclusion du chapitre “Politique à suivre en cas d’accident et de dangers imprévus” du rapport intitulé « Questions de santé mentale que pose l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques » publié par l’OMS à Genève. Ce document démontre qu’à l’époque déjà, cette organisation était sous l’influence des promoteurs de l’atome. Il fallait faire oublier les 210 000 morts des essais atomiques grandeur nature d’Hiroshima et Nagasaki. Et surtout préparer l’opinion publique à accepter les risques effroyables associés aux développements des techniques nucléaires. C’était l’époque du fameux slogan « L’atome pour la paix ».

Des promoteurs de l’atome ont fondé, en 1957, l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) dont la mission est la promotion de l’énergie nucléaire à l’échelon mondial. Réalisant bien vite l’ampleur des désastres potentiels inhérents à l’atome et ses menaces pour la santé des populations, ils ont jugé indispensable d’avoir le contrôle des activités – et des publications – de la plus grande organisation sanitaire mondiale, l’OMS. L’avenir d’une source énergétique « qui renferme des possibilités aussi considérables dans deux directions opposées – amélioration du bien-être de l’humanité et détérioration de la race humaine » en dépendait !

Dès 1959, c’est chose faite : désormais, l’OMS et l’AIEA « agiront en coopération étroite » et seront liées par un accord qui prévoit notamment :

« Chaque fois que l’une des parties se propose d’entreprendre un programme ou une activité dans un domaine qui présente ou peut présenter un intérêt majeur pour l’autre partie, la première consulte la seconde en vue de régler la question d’un commun accord. »

Cet accord prévoit en outre :

que des représentants de l’Agence internationale de l’Energie atomique sont invités aux réunions du Conseil exécutif de l’OMS et à participer, sans droit de vote, aux délibérations de cet organe et de ses commissions et comités ;

que l’OMS et l’AIEA se tiennent mutuellement au courant de tous leurs projets « sous réserve des arrangements qui pourraient être nécessaires pour sauve-garder le caractère confidentiel de certains documents ».

On voit ainsi qu’une institution à buts sanitaire et humanitaire bascule soudain dans le camps retranché du nucléaire où règnent en maîtres absolus dissimulation, désinformation, secret et mensonge. Dès lors, on comprend mieux le laxisme de l’OMS à l’égard du nucléaire en général et notamment des conséquences de Tchernobyl. Souvenez-vous des espoirs déçus après les travaux de 700 scientifiques réunis à Genève en novembre 1995, travaux dont le véritable bilan a été censuré par l’AIEA et jamais diffusé. L’AIEA a préféré organiser sa propre conférence sur le même thème, quelques mois plus tard, à Vienne, et “gérer l’information” conformément à ses intérêts.

Et dans l’actuelle controverse sur l’uranium appauvri, on ne s’étonne donc pas que l’OMS, pour les mêmes raisons, soit dans l’incapacité d’adopter la position claire et intransigeante que lui dicte sa Constitution et les droits de l’Homme : exiger l’interdiction immédiate de cette arme radioactive qui frappe sans discrimination civiles et militaires et contamine la planète pour plusieurs milliards d’années. On comprend également les difficultés rencontrées pour trouver une information crédible et sûre chaque fois que le nucléaire civil ou militaire est mis en cause.

Le public ne parvient pas à imaginer qu’on puisse lui mentir à ce point, à un si haut niveau. Dès lors, crédulité et mensonges façonnent ensemble une opinion publique désemparée qui « s’accommode de l’ignorance et de l’incertitude... » L’objectif de l’OMS est atteint.

Qui peut être assez machiavélique pour imaginer que l’OMS, dont le but est « d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible »[4] puisse entretenir une liaison aussi étroite avec l’AIEA, l’agence de promotion du nucléaire ? Et cela, en toute « légalité » !

L’enjeu de cette situation aberrante, est, naturellement, financier. La filière nucléaire et ses composantes industrielle et militaire représentent une telle puissance économique (pour combien de temps encore ?) que rien n’est censé leur résister.

Toutefois, on déplorera l’absence d’éthique – ou de simple esprit critique – chez les hauts fonctionnaires de l’OMS qui, la conscience apparemment tranquille, travaillent simultanément à la promotion de la santé publique et à celle d’une industrie qui a déjà fait des millions de victimes et qui en fera encore bien davantage. Il faut dire que l’AIEA a veillé à ce que ces fonctionnaires – tout comme les experts auxquels ils font souvent appel – puissent accomplir leur besogne à l’abri de toute éventuelle poursuite judiciaire : ils bénéficient en effet d’une immunité totale, aussi bien dans l’exercice de leur mandat qu’après la fin de celui-ci.

Ainsi, les “experts” qui ont opté pour la non-évacuation de certaines zones contaminées près de Tchernobyl – pour ne pas trop émouvoir l’opinion mondiale – ne risquent pas d’être inquiétés, bien qu’ils aient consciemment commis un « refus d’assistance à personnes (des centaines de milliers) en danger ». Aujourd’hui, les mêmes “experts” qui tolèrent l’usage militaire et civil de l’uranium appauvri, jouissent de cette immunité. Du moins pour l’instant...

On regrettera par ailleurs le manque de curiosité ou le laxisme des médias du monde entier. En cinquante ans, il ne s’est vraisemblablement jamais trouvé quelqu’un pour dénoncer haut et fort la perfidie de cette alliance entre deux organismes aux buts diamétralement opposés, qui devraient s’affronter et non coopérer.

L’OMS doit enfin respecter sa Constitution. Celle-ci précise notamment qu’une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d’une importance capitale pour améliorer et protéger la santé de tous les peuples.

Cette “opinion publique éclairée” exige de l’OMS qu’elle se libère totalement de la tutelle de l’AIEA qui la déshonore et lui interdit d’accomplir sa vraie mission. Le moment est particulièrement propice pour mettre un terme à cette révoltante alliance.

Et pour Madame Gro Harlem Brundtland, qui, avant sa nomination à la tête de cette organisme, avait promis de “mettre de l’ordre dans la maison”, c’est l’occasion de tenir parole.

Près de 15 ans après la tragédie de Tchernobyl, plus d’un demi-siècle après celle d’Hiroshima, notre devoir commun à l’égard des victimes passées, actuelles et à venir de ce fléau qu’est l’atome, est de ne plus tolérer l’intolérable.

« Le monde est menacé davantage par ceux qui tolèrent le mal que par ceux qui s’emploient activement à le faire. » Albert Einstein

Paul Bonny

Genève, le 7 février 2001 PB/ig

1 Organisation mondiale de la Santé, Rapport technique N° 151, Genève, 1958, page 50

2 Annexe 1 du même document.

3 Article 1, §3 de l’Accord entre l’AIEA et l’OMS, 1959.

4 Article 1 de sa Constitution