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Articles par thèmes :
LME
Articles par pays :
Etats-Unis
Journal par No :
No 62, février 2002
Auteurs :
Pierre Vanek
No 62, février 2002
Publié le vendredi 28 septembre 2007

Faillite de la multinationale Enron Les ressorts de la spéculation électrique mis à nu

« L’ouverture du marché de l’électricité ? Une vague de fond qui submerge irrésistiblement le « paysage » électrique mondial. On ne peut l’arrêter avec les mains... » ainsi pouvait-on lire il y a peu dans l’édito de la revue de la branche électrique romande 1.

Or la Loi sur le marché de l’électricité (LME), manifestation helvétique de cette « vague », est bel est bien « arrêtée » aujourd’hui, grâce à nous en partie.

La LME au point mort

Le conseil fédéral n’ose pas la mettre en votation, le 9 avril on fêtera le premier anniversaire du dépôt de notre référendum - les référendaires dont des représentant-e-s de ContrAtom se retrouveront d’ailleurs à Berne à cette occasion pour une réitération symbolique de ce dépôt.

La votation populaire serait pour septembre au plus tôt. Or la LME avait été votée par les Chambres quasi-unanimes à fin 2000, à un moment où la Californie, sixième économie du monde, subissait des coupures électriques et que consommateurs et collectivités y croulaient sous la facture d’une spéculation électrique inouïe. Ce sale climat pour vendre la libéralisation-privatisation a été l’une des raisons qui ont conduit - de manière antidémocratique - le Conseil fédéral à reporter à des jours « meilleurs » la votation sur la LME. Or on n’entend plus guère parler de la Californie. De juin à décembre dernier cet Etat n’a en effet connu qu’une seule alerte électrique (entraînant des coupures de courant possibles), alors que dans la première partie de l’an dernier elle en avait subi 38. La différence c’est que le 19 juin les régulateurs fédéraux américains ont finalement imposé un contrôle des prix continu.2

Mais... des USA nous vient un nouveau séisme, de nature à porter un coup aux adeptes du marché à tout prix comme le Conseiller fédéral Leuenberger père de la LME, et c’est notamment la mesure qui a épargné les black-outs à la Californie, qui a réduit le cash flow et précipité la crise d’Enron... Cette multinationale US, aujourd’hui en faillite, était le plus grand trader mondial d’électricité, de gaz. En février de l’an dernier l’hebdo économique américain Business Week faisait sa une avec la photo du président d’alors de la multinationale Enron, Jeffrey Skilling.

Un ange passe

L’homme se présentait comme « du côté des anges », en « guerre sainte contre l’inefficacité » visant à « combattre les monopoles » et en mesure de livrer à chacun « les produits et services exacts que désirent chaque consommateur individuel ». Récusant les accusations liant Enron à l’explosion des prix électriques et aux black-out en Californie il prétendait que sa compagnie « ne profitait pas des prix élevés » …mais seulement « de la volatilité de ceux-ci ». Business Week, admiratif, relevait le rôle de pionnier d’Enron dans la « financiarisation de l’énergie ». En Août 2001, Skilling démissionnait de son poste pour « raisons personnelles », le premier des rats à quitter le navire, les poches pleines...

L’histoire est instructive, tout y est, dont la preuve que l’ouverture des marchés de l’électricité n’est pas une phénomène « naturel », une vague, une avalanche... mais qu’elle a été patiemment forgée à coup de dollars, de corruption, de combines.

Au printemps dernier Enron était adulée pour avoir « largement créé et habilement dominé le marché de l’énergie dérégulé aux USA »3 . En 1992, c’est le lobbying musclé d’Enron qui a abouti à la législation qui a « ouvert » les lignes des régies électriques existantes au transfert de courant de tiers. En 2000, Enron avait de l’ordre de 26 0000 employé-e-s dans une quarante pays, affichait un chiffre d’affaire de 100 milliards de dollars, un bénéfice de près d’un milliard et de l’ordre de 70 milliards de dollars d’actifs à fin septembre. L’action Enron qui s’échangeait à plus de 90 dollars en août 2000 ne valait plus que quelques cents en décembre dernier. A son apogée au moins 20 % de l’ensemble des transactions du marché de l’énergie américain (toutes énergies confondues) passait par la « bourse »-maison d’Enron.4 Selon certaines estimations pour le gaz naturel et l’électricité on aurait atteint un sommet de 50%.5 En Allemagne, jusqu’à 30% des transactions électriques passaient par Enron.6

Courant virtuel...

Au-delà du « réel », Enron axait son activité sur le développement de « produits » financiers dérivés présentés - ironiquement - comme un moyen « gérer » les risques d’un marché spéculatif dont Enron est littéralement l’un des créateurs. Aux USA nombre d’entreprises avaient signé avec Enron des contrats à « long terme » pour garantir leur sécurité d’approvisionnement électrique et se protéger contre la « volatilité » du marché. Elles se retrouvent aujourd’hui à découvert...

Copains et coquins

Tout le gratin politique des USA en particulier Georges Bush et son entourage, ont été arrosés de contributions massives aux fonds de campagnes. Ken Lay, PDG d’Enron, un ami de la famille, était l’un des conseillers de Bush quant il était gouverneur du Texas et a apporté à celui-ci à « titre personnel » un million de dollars comme coup de pouce à sa carrière, sans compter la mise à disposition de jets privés et autres avantages octroyés au candidat à la Maison Blanche. En échange, par exemple Lay a pu téléphoner au président de la Commission fédérale de régulation de l’énergie (FERC) Curtis Hebert pour lui enjoindre de presser le mouvement de l’ouverture totale du réseau à sa compagnie. N’ayant pas obtempéré il fut remplacé par un Texan plus « compréhensif »7.

Des versements massifs aux caisses noires des uns et des autres ont permis d’obtenir des lois taillées sur mesure et des nominations à des postes clés de personnel à la botte de la société. En décembre 2000 par exemple a été voté une loi sur le contrôle des marchés à terme 8 , cadeau taillé sur mesure pour Enron, cette loi exemptait de toute une série de contrôles publics les transactions liées à l’énergie. La vedette est tenue en particulier dans cette affaire par le couple Gramm, largement rémunéré par Enron, le mari sénateur républicain est un fanatique de la dérégulation, qui a orchestré le passage en douce de la loi susmentionnée. Sa femme Wendy a présidé sous Bush senior une commission officielle dans laquelle elle a fait passer en force dans les derniers jours de son mandat, l’exemption de contrôles sur certaines opérations à terme en matière d’énergie. Cinq semaines plus tard elle entrait au Conseil d’administration d’Enron... Le sénateur démocrate Paul Liebermann, chargé de présider l’une des nombreuses commission d’enquêtes parlementaires qui va mettre son nez dans le crash d’Enron et ses liens avec l’administration Bush aurait lui-même reçu des contributions significatives d’Enron pour ses campagnes.9

Enron a utilisé des centaines de sociétés écrans, dont plus de 800 basées dans divers paradis fiscaux officiellement montrés du doigt par l’administration US elle-même, aux Iles Caïman par exemple, et pratiquait un principe de non transparence structurelle de ses activités qui ne dérangeait personne tant que le baratin de ses dirigeants était pris pour argent comptant et que la spirale spéculative assurait la croissance de sa cotation boursière. Ses dirigeants et cadres s’en sont mis plein les poches en encaissant des millions de dollars à travers des transactions douteuses et des bonus divers. Deux jours avant la faillite déclarée 500 cadres ont reçu un versement de 55 millions de dollars de primes extraordinaires ! Mais ce ne sont là que broutilles à côté des 1100 millions de dollars qu’un groupe de 29 cadres ont encaissé en débarquant discrètement leurs actions de 1999 jusqu’à la mi-2001.10

Les employé-e-s d’Enron ont été nombreux à être licenciés sur le champ. Leur fonds de retraite et leur couverture en cas de maladie a disparu dans la déconfiture, les actions Enron dans la caisse de retraite ayant été « gelées » pendant que leur cours s’effondrait, alors que les dirigeants de la société en réalisant leurs stocks options a temps se sont fait des fortunes. Au-delà des salarié-e-s de la société d’innombrables épargnants ont été plumés, ainsi que des travailleurs d’autres entreprises dont les fonds de retraites avaient massivement spéculé sur l’ascension « irrésistible » du cours des actions Enron.

Le tiers monde mis à contribution

De l’Argentine, à l’Inde en passant par Mozambique... avec l’appui de la diplomatie US un vaste brassage d’affaires et de projets a conduit à ce qu’« Enron ne se soit pas fait beaucoup d’amis dans le tiers monde » selon l’euphémisme de Business Week11 . La méga-centrale électrique indienne de Dabhol, l’un des investissements étrangers les plus importants dans ce pays, dont les travaux sont en panne depuis juin, est l’un des projets les plus controversés dans lesquels a trempé Enron.

Au tarif de 52 millions de dollars par an Arthur Andersen auditait les comptes d’Enron. Cette sociétéest elle-même au bord de la faillite aujourd’hui et fait l’objet d’une enquête pénale pour avoir détruit des documents potentiellement révélateurs de malversations d’Enron. La chute d’Enron s’est précipitée quand ses dirigeants ont dû admettre que ses bénéfices de 1997 à 2000 étaient de 600 millions de dollars inférieurs à ce qu’elle avait annoncé avec la caution d’Arthur Andersen et que la société devait provisionner un milliard de dollars suite à l’effondrement de la valeur de ses investissements dans le secteur de l’eau et des télécoms notamment...

UBS en redemande

Les dépouilles d’Enron serviront à en engraisser d’autres. Citigroup et UBS étaient en effet sur les rangs pour reprendre le trading d’EnronOnline qui constitue le coeur de l’activité de la multinationale et qui générait le 90% de ses bénéfices. C’est UBS qui l’a emporté, et qui a mis la main sur l’affaire - par le biais de sa filiale UBS Warburg - en espérant remettre la pompe à fric en marche !

Mais ça ne pourrait pas arriver chez nous ? Qui pourrait avoir ce type de certitudes après la déconfiture de Swissair. Dans son rapport annuel 2000, Enron se vante de ses tentacules étendues jusqu’en Suisse et d’être en cheville avec Swiss City Power AG qui « contrôle 19% du marché électrique helvétique »12 . A la mi-novembre d’ailleurs la Ville de Zurich a dû interrompre en catastrophe la joint venture initiée entre l’entreprise électrique municipale EWZ et Enron pour faire dans le trading électrique.

Il est clair qu’on ne saurait bâtir une quelconque politique de l’énergie, antinucléaire sur les fondements pourris mafieux et spéculatifs que révèlent au grand jour l’affaire Enron. Il nous faut donc combattre avec la dernière énergie la libéralisation et à la privatisation de l’approvisionnement en électricité incarnés par la LME qui sont la négation absolue des exigences de transparence et de contrôle démocratique, ainsi que d’un système d’approvisionnement énergétique écologique et décentralisé que ContrAtom a toujours mis en avant.

Pierre Vanek

1 Les Cahiers de l’Electricité, juin 2001

2 Blind faith : How Deregulation and Enron’s Influence Over Governement Looted Billions from Americans (Public Citizen, déc. 01)

3 NY Times 8.11.01

4 Forbes 30.11.01

5 NY Times 4.12.01

6 BBC News 30.11.01

7 Los Angeles Times 11.12.01

8 Commodity Futures Modernization Act

9 NY Times 21.2.01

10 NY Times 13.1.02

11 Business Week, 12.2.0

12 Sur www.enron.com : Annual report 2000

13 New York Times 14.1.01

 
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